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Jacques Lacan, Jean-Michel Vappereau, Pierre Soury et Michel Thomé : Nœuds Borroméen et Bandes Möbius

Traduction (par Lituraterre) d’une page de : http://www.lacan.at/ : Site web de Neuer Wiener Gruppe

LE SCHEMA OPTIQUE DE LACAN
Galerie Faber (VIENNE): 12. – 30 Janvier 1988. Conception/Réalisation: Gerhard Fischer, Walter Seitter
L’exposition s’est tenue
à plusieurs reprises au Musée d’art moderne de Vienne dans le cadre du schow Daedalus-Daedalus du 22 octobre au 30 décembre 1990.

L’objet et le thème de l’exposition étaient les appareils optiques et de visualisation que le psychanalyste Jacques Lacan a inventés et repris, pour développer sa propre pensée ; en outre les pratiques qu’il a réalisées lui-même et a insérées dans son activité d’écriture, de pensée, de discours – en partie dans un échange direct avec ses maîtres en topologie (qui étaient ses élèves en psychanalyse).

Pour Lacan, le travail de Gaëtan Gatian de Clérambault (1872-1934) représenta une pratique de précurseur importante et vaste dans le domaine de l’optique. Clérambault a d’abord étudié l’art appliqué et la jurisprudence et devait dans sa profession principale ultérieure, la psychiatrie, faire en sorte que ces deux disciplines restent lié.

Car la représentation exacte et la décision étaient des aspects importants de son activité de psychiatre judiciaire. Il a terminé ses étude de médecine et de psychiatrie par une thèse de doctorat consacrée aux hématomes de l’oreille chez les aliénés. Contrairement au point de vue habituel, selon lequel ces hématomes étaient dus à des déficits de développement, il a présenté la thèse selon laquelle les fous comprimeraient leurs hémorragies, puisqu’ils se cognent la tête aux parois de leurs cellules. Cette thèse novatrice basée sur des argumentations qui heurtent, montre déjà très clairement le style de pensée de Clérambault. Les années 1903 et 1904 Clérambault les a passées à Vienne : comme médecin personnel d’une comtesse. Il y a appris la langue allemande et n’a apparemment pas pris de note de Freud.

Une liste qu’il a faite de tous les noms et notions concernant son travail psychiatrique ne comporte toutefois pas le nom de Freud. On trouve cependant le mot « freudisme » dans un de ses textes comme désignation d’une « idéologie dogmatique » rejetée par Clérambault. En tant que psychiatres auxiliaire de justice il a porté son attention sur « la passion des étoffes » de femmes qui encourraient une peine pour avoir volé des produits textiles.

Au cours de la première guerre mondiale il a été utilisé au front contre les Allemands et y a fait preuve d’un courage extravagant de photographe : il s’est aventuré dans un champ de tir où comme il dit « on lançait des mines » et a photographié les impacts. Son destin en tant que regard a commencé. Une blessure grave lui est l’occasion d’un séjour de récupération au Maroc. Là, il développe une autre passion du regard : il fabrique des milliers de photos qui montrent des hommes et des femmes, des groupes, des couples et des personnes seules dans leurs costumes traditionnels : merveilleux drapés avec leurs plissements, leurs rubans et leurs échancrures, .

Revenu à Paris il travaille à nouveau en tant que psychiatre auxiliaire de justice et il organise une conférence à laquelle le jeune Lacan a participé.

En outre il s’est consacré à l’histoire et à l’ethnographie de l’art du costume qu’il a enseigné à l’académie pour fin de l’écran à art et a écrit plusieurs essais sur l’art du Drapé. Il n’a pas seulement recherché et enseigné sur ce sujet mais il a évidemment étendu cela jusqu’à à un art de vivre . Le destin l’a touché d’autant plus rudement : il a lentement perdu la vue ; il a encore décrit dans un texte fascinant son talent de voir anormal. Mais il était désespéré alors, au cours d’une mise en scène de miroir (spiegelstadialen), il se donna le coup mortel.

Pour Clérambault vie et travail font autant partie de sa formation théorique psychiatrique que ses argumentations littéraires et judiciaires avec les Surréalistes. Ce que Lacan a mis en place en appelant Clérambault son « seul professeur en psychiatrie » fut certainement cet art du voir et de la visualisation. Et Lacan conceptualise cet art d’une manière qui peut aussi faire penser directement aux photos de vêtements : la vision clinique est constituée par une fidélité à l’enveloppe, au drapé du symptôme. «

Dans l’exposition, on trouvait aussi « l’expérience avec le bouquet de fleurs inversé » qui a été reproduite selon Lacan dans son séminaire I : Les écrits techniques de Freud (Olten en 1978). De Henri Bouasse : Optique et photométrie dites géométriques (Paris 1934) : commentaire pris et en détail a évalué que théoriquement 47. L’expérience consiste dans le fait que devant un miroir concave, un Vase est posé et que sous le Vase un bouquet de fleurs est suspendu (la tête en bas). Avec la construction de Lacan, on voit cependant dans le miroir concave le bouquet de fleurs apparaître droit et sur/dans le vase .



Photographie: Johannes Faber

Comme les deux photographie illustrées de l’exposition le montrent, l’expérience a fonctionné. À son installation, un grand miroir creux sur le rayon de bois du musée technique à Vienne avait été prêté. Le rayon de ce miroir mesurait, 1m2 m de profondeur, 1m5d e large et 2m6 m de haut ; le miroir en métal et en verre avait un diamètre de 1m36. Le support en bois laqué noir était très beau, l’appareil entier est apparu comme une œuvre d’art classique. Les questions dans le musée technique au sujet du miroir ont fait apparaître qu’il n’avait qu’un vieux et faux numéro d’inventaire; L’époque, l’origine et l’auteur de la fabrication étaient inconnus.

Des dessins de Lacan, l’un ressort particulièrement. Il se trouve dans la lettre du 11. 6.1975 à Pierre Soury et Michel Thomé ou plutôt : la lettre ne se compose que de ce dessin avec des additifs linguistiques et schématiques tout à fait rares et qui font remarquer qu’il s’agit d’un nœud de six anneaux, dont l’un s’appelle oméga (il a la forme d’un losange) et qui, par sa présence, donne à tous le caractère borroméen.

Que voit-on toutefois ? Dessinés avec un trait bleu, au feutre bleu et vert, posés concentriquement l’un sur l’autre, une croix grecque, un losange, un carré, un rectangle et une surface cruciforme avec deux demi croix et deux terminaisons rectangulaires. Le tout se présente comme un croquis d’architecture complexe et quand même régulier : une construction centrale à plusieurs étages avec des formes différentes qui sont mises ici comme un gentil palimpseste l’un dans l’autre, tous. Le dessin mené sans droite ni cercle est quand même d’une grande et précise concentricité. Le léger tremblement du dessin de la plus grande figure, dont les traits sont parfois pris l’un dans l’autre ainsi que la confusion parfois entre les lignes de trait minces et les lignes de feutre plus épaisses ; tout cela donne à la plus grande des figures « un côté vivant ». Le petit nœud évoque la pierre précieuse polie et pétillante bleu-vert, mais la grande figure, fait penser à l’architecture transmise par les siècles.

Lacan inspiré par Clérambault le philosophe du monde extérieur a ainsi créé, par hasard ou non, une œuvre d’art : une apparition qui signifie plus en vertu de ses contradictions (se laisse voir et dissimule, parle et regarde elle-même), quand elle doit ou peut-être voudrait signifier. Il réalise une perspective qui va au-delà de la psychologie et d’une thérapie et rachète « théoriquement » (esthétiquement et philosophiquement) ce que Freud avec une explication suggère comme ceci : « Je me limite de dire que je ne trouve pas de difficulté à reconnaître dans l’art un monde physique à côté du psychique, de sorte que le dernier serait une partie du premier ».


À l’arrière-plan théorique de l’exposition voir Walter Seitter : Jacques Lacan : en tant que dessinateurs : ders. : Jacques Lacan et (Berlin 1984) ; Niels Werber : Lacan et l’art. Promenade à travers un labyrinthe terminologique : Textes sur l’art 4 (1991).


 

Michel Thomé: L’échange de lettres entre Lacan, Thomé et Soury

Cela commence en novembre 1973, quand Lacan dans son séminaire parle à nouveau du nœud borroméen qu’il avait présenté en janvier 1972 .
D’abord, Thomé découvre que le nœud borroméen (à 3 anneaux) d’une tresse régulière (avec 3 brins et 6 croisements) peut être développé par la mise en relation des terminaisons.


Par la suite, Soury prouve que chaque nœud peut être transformé en une tresse fermée.
Ces deux découvertes fondamentales forment le point de départ de la coopération entre Soury et Thomé et de l’échange de lettres avec Lacan.

Thomé envoie ces résultats avec de nombreux dessins de tresses et de nœuds à Lacan lequel en parle dans la réunion suivante du séminaire et invite Thomé par lettre à venir chez lui. C’est la première lettre de Lacan à Soury et Thomé.

Par la suite, ils en viennent à un échange intensif de lettres(1973-1979) et en réunions personnelles fréquentes, dans lesquels les problèmes des nœuds borroméens sont traités. Lacan parle de plus en plus fréquemment dans son séminaire de nœuds et renvoie à plusieurs reprises à Soury et à Thomé. Il leurs demande aussi plusieurs fois de distribuer leurs textes aux auditeurs de son séminaire.


En 1976, Thomé commence une psychanalyse avec Lacan, et Lacan ne s’adressera plus par la suite qu’à Soury. Il l’invite fréquemment, pour parler de topologie (surfaces et nœuds borroméens généralisés).

Cet échange de lettres et ces réunions cessent en 1979, peu de mois avant la dissolution par Lacan de l’Ecole Freudienne. Lacan demande alors plusieurs fois à Soury de se réunir directement avec lui avant les séminaires , pour parler de topologie, mais Soury, à qui cela ne convenait pas, refusa.


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Jacques Lacan, Lettre à Pierre Soury, de 1975.
Dessin d’une tresse borroméenne à 5 brins, dont 4 restent parallèles, tandis qu’un brin particulier du nom de w (oméga) les rend tous borrméennement liés.
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Jacques Lacan,
Lettre à Pierre Soury, 11. 6. 1975.« Ce nœud à six ronds mettant en valeur l’oméga des six en tant que

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1-ω ( 4 ) 2  »
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Même problématique. Cette fois-ci 6 anneaux. L’anneau oméga se tord borroméennement avec les autres (même si l’aspect borroméen n’apparait pas).

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Jacques Lacan,
Lettre à Pierre Soury, de 1976. « Voilà la solution que je propose.
Pourquoi faut-il que ce soit si « coton » !
Il y a un passage entre cordes rouges et cordes bleues moyen et cordon…. du même ordre que ce passage…(deux ronds non noués) Simplement les cordes rouges … les cordes bleues de l’autre. Si je comprend bien, l’espace est torique plus que sphérique. Je parle de l’espace à trois dimensions !!! » 
4
Jacques Lacan,
Lettre à Pierre Soury, 12. 1. 1978. « Ce dessin à quatre…ce n’est pas la même chose Comment le distinguer au niveau du dessin suivant..? Votre Jacques Lacan  »

5
Jacques Lacan,
Lettre à Pierre Soury, 17. 1. 1978.« A Soury C’est un emboitage..je veux dire un truc comme ça.. Votre J. Lacan 17. 1. 1978″.
6
Jacques Lacan,
Lettre à Pierre Soury, 15. 12. 1977, recto. Cher Soury, veuillez me dire de combien de façons un de ces six tores (ainsi disposés) se retourne. Il ya deux autres cas, celui que j’ai appelé « à la queue-leu-leu »
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Jacques Lacan,
Lettre à Pierre Soury, 15. 12. 1977, verso. « Appelez-moi demain matin à 11 h. si vous le pouvez »
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Jacques Lacan,
Lettre à Pierre Soury, 21. 2. 1978. « De Lacan à Soury Je suis venu vous voir ce matin. 21 février 78 pour essayer de mettre debout quelque chose. Vous n’étiez pas là. Du moins l’ai-je supposé, car j’ai longuement cogné à votre porte. Je suis enragé par cette histoire ».

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Jacques Lacan,
Lettre à Pierre Soury, 30. 10. 1978. « Pourquoi les 4 demi-torsions dans votre papier ne sont elles pas figurées comme cela ? … ou comme cela. Appelez-moi le plus tôt possible à mon numéro. Si vous le pouvez Votre J. Lacan »

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Jacques Lacan, Lettre à Pierre Soury, 20. 11. 1978.
« Ayez la bonté, cher Soury, de me faire la bande de Moebius – que nous appelons triple : celle qui se figure comme cela et de m’en faire la doublure – Celle à quoi vous mettez un intérieur et un extérieur S’il vous plait Merci »
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Jean-Michel Vappereau : La topologie lacanienne. Petite chronique des Nœuds borroméens généralisé

 » Qu’est-ce que peut dire d’un trou ? Dans quelle sens y entre-t-on ?Un con n’est pas un trou mais un organe. Le Surréalisme est typiquement l’intention prêtée au Réel « .
De cela, la topologie lacanienne nous donne beaucoup d’exemples au service d’un Réel en acte:Graphes/Bouteille de Klein/Nœuds – Une réflexion topologique typique de Lacan sur le trou. Au milieu d’un bord, un cercle doit représenter un trou, une 1-Sphère, une bande. (Ce commentaire est nécessité par le manque de logique du dessin). « Dès qu’il y a un trou du trou, ça n’va plus ». Lacan parle d’un trou qui peut venir boucher un trou. Des trous dans cette bande de matière lui semblent être des trous dans le trou. On trouve un nœud fabriqué avec deux lignes droites infinies et un cercle. Des graphiques nous apparaissent très utiles que nous avons nommé « Graphes de Terrasson »
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P. Soury
Le Nœud-trèfle sur le Tore
Il s’agit de deux représentations, de face arrière et avant d’un nœud-trèfle sur le tore, à peine dessiné par Soury qui y opère un comptage. Nous pouvons témoigner que Lacan a souvent eu ce dessin en main, pour essayer de compter les rotations autour de la surface du tore. Il corrige le comptage de Soury et écrit : « Ca tourne 3 fois autour de l’âme et 2 fois autour de l’axe »
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P. Soury – La bande Möbius/La bande enveloppante « La bande Moebius en violet- la bande enveloppante (ou bande bordure) en rouge »


Cette représentation de la bande Moebius et de son enveloppement comporte quelques difficultés. Il s’est produit que Lacan nous a demandé de réexaminer si cette représentation était dessinée correctement.

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J. Lacan
La bande de Moebius et sa coupure mitante

Les deux parties différentes résultant de la coupure sont décrites comme « face avant » et « face arrière ». Comme dans le cas des nœuds sur le tore, Lacan rend compte de la difficulté de manipuler ce genre d’objets

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J. Lacan
Recherche d’un nœud borroméen à quatre ronds.

Lacan pose l’un sur l’autre trois anneaux. Il essaye de les lier par un quatrième. A son habitude, Lacan démontre qu’il s’est surtout agi pour lui de concevoir des nœuds et des chaînes borroméennes particuliers. Il est possible qu’il s’agisse plus précisément de la question de dire ce qu’est un nœud et ce qu’est un trou. Vers le bas le croquis, comme une sphère armillaire de la même chaîne à quatre.

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J. Lacan

Construction d’une chaîne à quatre

A partir d’une disposition de trois anneaux posés les uns sur les autres, Lacan dessine les différents types de représentation de la chaîne borroméenne à quatre ronds, en étudiant le passage du quatrième dans cette disposition. Dans son séminaire, il appelle le quatrième anneau « le sinthôme ».

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J. Lacan

Construction d’une chaîne à quatre

18, 19

« La topologie résiste – La béance entre la psychanalyse et la topologie – C’est ça qui est ça – Le bord – La bande enveloppante – Correspondance entre la topologie et la pratique – Les temps – Couper – trois – 2 sur 5 – Ce qu’il y a de commun entre toutes les bandes de Moebius »


Lacan n’envisage pas cette structure par hasard. Elle se poursuit jusqu’au séminaire du 15 février 1967 et se trouve à nouveau dans l’écriture de « L’étourdit »(Scilicet No 4). Il l’appellera l’involution signifiante.

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P. Soury
Le borroméen généralisé au sens le plus stricte 6-3. Soury a construit une chaîne borroméenne généralisée d’après notre méthode avec six anneaux. Il est nécessaire et suffisant de retirer trois anneaux, afin qu’elle se dissolve. Son commentaire ci-joint éclaire et confirme notre intérêt pour la lecture du triangle de Pascal.

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J. Lacan « Un troisième sexe – il en suffirait de deux – le borroméen – irréductible à la forme type »

Il suffit de ne pas réduire deux des borroméens à la forme standard pour obtenir ce qu’on appellera le borroméen « généralisé » 4.2″.

 

Avec l’approbation amicale de la maison d’édition Stroemfeld/Roter Stern, sur Deadalus : L’invention du présent (Bâle-Francfort en 1990) Extrait de : http://www.lacan.at : Site web de Neuer Wiener Gruppe

Le Neuer Wiener Gruppe

Nouveau groupe viennois : (Biologie et psychothérapie, Sciences sociales et politiques, et Etudes culturelles.

Historique : La naissance du groupe Neuer Wiener Gruppe (Nouveau groupe viennois – Ecole lacanienne) débuta sur le séminaire international : « Psychoanalyse und Strukturalismus – Freud und Lacan zurück » (Psychanalyse et Structuralisme – Freud et Lacan de retour) qui a été organisé en 1986 et en 1987 par l’Institut culturel français, par l’Institut pour la Science et l’Art ainsi que par la Société autrichienne d’analyse culturelle.

De janvier 1986, jusqu’à avril 1987 onze week-end de séminaires avec exposés, discussions et groupes de travail ont eu lieu, dans lesquels ont pris la parole: Alain Didier-Weill, Susanne Hommel, Lucien Israël, Franz Kaltenbeck, Friedrich Kittler, Sarah Kofman, Jean Laplanche, Rosine et Robert Lefort, Thanos Lipowatz, Jacques-Alain Miller, Genevieve Morel, Andreas Pribersky, August Ruhs, Leonhard Schmeiser, Colette Soler, Michael Turnheim, Samuel Weber, Peter Weibel, Jean-Pierre Winter.