Les Lumières (Extrait du séminaire « Le savoir du psychanalyste » p.19)
Il est tout à fait clair que les Lumières ont mis un certain temps à s’élucider. Dans un premier temps, elles ont bien raté leur coup. Mais enfin, comme l’Enfer, elles étaient pavées de bonnes intentions. Contrairement à tout ce qu’on a pu dire, les Lumières avaient pour but d’énoncer un savoir qui ne fût hommage à aucun pouvoir. Seulement, on a bien le regret de devoir constater que ceux qui se sont employés à cet office étaient un peu trop dans des positions de valets par rapport à un certain type – je dois dire assez heureux et florissant de maître, les nobles de l’époque, pour qu’ils aient pu d’aucune façon aboutir à autre chose qu’à cette fameuse révolution française qui a eu le résultat que vous savez, à savoir l’instauration d’une race de maître plus féroce que tout ce qu’on avait vu à l’œuvre jusque là.
Dieu (Extrait du séminaire « Le savoir du psychanalyste » p.33)
De notre point de vue de sujets, qu’est-ce qui peut bien commencer à trois pour Dieu lui-même ? C’est une vieille question que j’ai posé très vite du temps que j’ai commencé mon enseignement ? Je l’ai posée très vite et puis je ne l’ai pas renouvelée, je vous dirai tout de suite pourquoi, c’est que ça n’est évidemment qu’à partir de trois qu’il peut croire en lui – même.
Les garçons en bande (Séminaire « Le savoir du psychanalyste » p.34)
Il y a un poème de Paul Fort dans ce genre-là : « Si toutes les filles du monde…- ça commence comme ça – se tenaient par la main etc…elles pourraient faire le tour du monde… ». C’est une idée folle, parce qu’en réalité les filles du monde n’ont jamais songé à ça, mais les garçons par contre – il en parle aussi – les garçons pour ça s’y entendent. Ils se tiennent tous par la main. Ils se tiennent tous par la main, d’autant plus que s’ils ne se tenaient pas par la main, il faudrait que chacun affronte la fille tout seul et ça, ils aiment pas. Il faut qu’ils se tiennent par la main !
Les filles, c’est une autre affaire. Elles y sont entraînées dans le contexte de certains rites sociaux…elles se groupent deux par deux, elles font amie amie avec une amie jusqu’à ce qu’elles aient, bien entendu arraché un gars à son régiment. Oui, Monsieur ! Quoi que vous en pensiez et même si superficiel que vous paraissent ces propos, ils sont fondés, fondés sur mon expérience de psychanalyste. Quand elles ont détourné un gars de son régiment, naturellement elles laissent tomber l’amie, qui d’ailleurs ne s’en débrouille pas plus mal pour autant.
Le discours du Maître (Extrait du séminaire « Le savoir du psychanalyste » p.39)
L’histoire montre qu’il a vécu pendant des siècles, ce discours, d’une façon profitable pour tout le monde, jusqu’à un certain détour, où il est devenu, en raison d’un infime glissement qui est passé inaperçu des intéressés eux-mêmes, ce qui le spécifie dès lors comme le discours du capitalisme, dont nous n’aurions aucune espèce d’idée si Marx ne s’était pas employé à le compléter, à lui donner son sujet : le prolétaire.
Grâce à quoi le discours du capitalisme s’épanouit partout où règne la forme d’état marxiste.
Ce qui distingue le discours du capitalisme est ceci : la Verwerfung, le rejet, le rejet en dehors de tous les champs du symbolique avec ce que j’ai déjà dit que ça a comme conséquence. Le rejet de quoi ? De la castration !
Tout ordre, tout discours qui s’apparente du capitalisme laisse de côté ce que nous appellerons simplement les choses de l’amour, mes bons amis. Vous voyez ça, hein, c’est un rien !
La TOPOLOGIE (Extrait du séminaire « Le savoir du psychanalyste » p.71)
Qu’est-ce que c’est qu’une topologie ?
Une topologie, c’est une chose qui a une définition mathématique. La topologie, c’est ceci qui s’aborde d’abord par des rapports non métriques, par des rapports déformables. C’est à proprement parler le cas de ces sortes de cercles souples qui constituaient mon :
« (1) JE TE DEMANDE – (2) DE ME REFUSER – (3) CE QUE JE T’OFFRE »
Le nœud borroméen
Chacun est une chose fermée souple et qui ne tient qu’à être enchaînée au autres.
Rien ne se soutient tout seul. Cette topologie, du fait de son insertion mathématique, est liée à des rapports de pure signifiance, c’est-à-dire que c’est en tant que ces trois termes sont trois que nous voyons que, de la présence du troisième s’établit entre les deux autres une relation. C’est cela que veut dire le nœud borroméen.
Il y a une autre façon d’aborder le langage et, bien sûr, la chose est actuelle. Elle est actuelle pour le fait que quelqu’un que j’ai nommé – il se trouve que je l’ai nommé juste après que l’eut fait Jakobson, mais que, comme il arrive, je l’avais connu juste avant – c’est à savoir un certain René Thom, et que ce quelqu’un tente en somme, certainement non sans en avoir déjà frayé certaines voies, d’aborder la question du langage sous le biais sémantique. C’est-à-dire non pas de la combinaison signifiante en tant que la mathématique pure peut nous aider à la concevoir comme telle, mais sous l’angle sémantique, c’est-à-dire non sans recourir aussi à la mathématique, à trouver dans certaines courbes, ajouterais-je, certaines formes, ajouterais-je qui se déduisent de ces courbes, quelque chose qui nous permettrait de concevoir le langage comme, dirais-je, quelque chose comme l’écho des phénomènes physiques.
Il est certain qu’il y aurait quelque chose d’infiniment satisfaisant à considérer que le langage est en quelque sorte modelé sur les fonctions supposées être de la réalité physique, même si cette réalité n’est abordable que par le biais d’une fonctionnalisation mathématique.
Ce que je suis, pour moi, en train, pour vous, d’avancer, c’est quelque chose qui foncièrement s’attache à l’origine purement topologique du langage. Cette origine topologique, je crois pouvoir en rendre compte à partir de ceci qu’elle est liée essentiellement à quelque chose qui arrive sous le biais, chez l’être parlant, de la sexualité. L’être parlant est-il parlant à cause de ce quelque chose qui est arrivé à sa sexualité parce qu’il est l’être parlant ?
C’est une affaire où je m’abstiens de trancher, vous en laissant le soin.