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R. Jakobson : la question des deux pôles :

Les aphasies

 

Pour l’auteur le trouble de la similarité rend compte des aphasies sensorielles (du type WERNICKE pour les neurologues). Dans ces affections il note que la contiguïté détermine tout le comportement verbal : la capacité de sélection (similarité) est fortement atteinte mais le pouvoir de combinaison est, quant à lui, au moins partiellement conservé.


L’illustration suivante fait comprendre ce propos : le patient auquel on présente le dessin d’une boussole répond : « oui, c’est un … Je sais de quoi il s’agit mais je ne peux pas me rappeler l’expression technique … oui … La direction …. Pour indiquer la direction …Une aiguille aimantée indique le Nord ».


Autre exemple donné par l’auteur ; à partir du mot-stimulus « building » le patient ne réagira pas par des métaphores qui suggèrent certaines analogies entre deux images (‘termitière’, ‘miroir’, ‘cathédrale’), mais il recourra « à des correspondances métonymiques allant de la chose contenue au contenant (‘ville’) de la cause à l’effet immédiat (‘vertige’) ou ultérieur (‘suicide’), du but à un moyen auxiliaire (‘ascenseur’) ou du tout à une partie (‘l’appartement’) ».

Plus encore pour ces aphasiques, deux signes étant « dans une distribution complémentaire : si l’un a été introduit par l’observateur, le patient évitera son synonyme : ‘je comprend tout’, ou ‘je le sais déjà’, voilà sa réaction typique ». C’est par la construction d’une phrase que le patient comble la lacune au niveau du code de correspondance.


A l’inverse, Jakobson montre longuement que les aphasies dites motrices (dites de BROCA) se révèlent à l’examen être un trouble de la contiguïté.

Le sujet perd la capacité de former des propositions. Le contexte (la connectivité) s’effondre mais les mots résistent. Dans ce cas, l’étendue et la variété de la phrase diminuent. Le style devient télégraphique. Le mot devient la seule unité linguistique préservée. Le patient ne peut plus les combiner en phrases. La perte des mots relationnels et la désintégration de la configuration syntaxique conduisent à « l’agrammatisme ». Le sujet de la phrase, plus indépendant du contexte, premier à être omis dans le trouble de la similarité, est plus tenace en cas de trouble de la contiguïté (15). Dans ce cas les unités grammaticales sont indécomposables ; ainsi le patient pourra comprendre et employer le mot composé « porte-manteaux » sans être capable de reconnaître et de répéter ses composants : « porter  » et « manteaux ».


Deux aspects de sa recherche nous intéressent particulièrement :

a) Une hiérarchie interactive

L’auteur relève avec insistance que cette bipolarisation se répète à l’intérieur d’unités linguistiques de différents rangs. « La sélection, dit l’auteur, concerne les entités associées dans le code mais non dans le message donné. » (1, p. 48) Le code, véhicule des échanges parlés, est donc assujetti aux postulats logiques de la similarité, par opposition au message. Ceci révèle l’inclusion du procès de similarité à l’intérieur du signe (par le signifiant), alors que le référent concerné, objet du message (le signifié) peut être extra-linguistique et investi par contiguïté. Nous retrouverons ce double caractère au niveau d’unités linguistiques élargies, également codées sous contrainte. Ainsi, les règles codifiant la construction de phrases régissent la combinaison des mots mais elles ont les caractéristiques d’un code (2, p. 111) . Nous le retrouverons encore au sein d’unités signifiantes plus vastes, voire au-delà du langage, au sein d’unités sémantiques réelles ou virtuelles soumises à une syntaxe, à des lois qui ne sont plus grammaticales mais d’essence psychosociale.

b) La consécution des ordres contigu/similaire

Ce deuxième point découle de cette étude des aphasies. Nous devons le rappeler parce qu’il a ouvert la voie à Jakobson.

L’auteur montre longuement que les aphasies dites motrices (Broca) révèlent à l’examen être un trouble de la contiguïté. Le sujet perd la faculté de former des propositions. Le contexte (la connectivité) s’effondre mais les mots résistent. Au maximum c’est le style « télégraphique » où la similarité est préservée. A l’inverse, dans les aphasies sensorielles (Wernicke) la capacité de construire des phrases (le contexte) persiste mais le patient ne pourra nommer un objet qui lui est présenté, il ne pourra que décrire son usage, nous sommes en présence d’un trouble de la similarité. C’est la contiguïté qui est ici préservée (1, pp. 49 à 61).