Le pouvoir de lire
Mademoiselle « x » suit les cours depuis environ six mois. Elle est roumaine et pourvue d’une intelligence très vive qu’elle exprime par la parole.
Elle est très réticente au début pour accepter de lire devant tout le monde car elle prétend n’y pas parvenir.
Après un temps, nous entamons la lecture d’un roman du 19e.
Elle accepte un jour de faire une tentative de lecture. Elle déchiffre avec lenteur mais correctement, sauf quand elle se trouve devant le mot « que ». Elle reste alors hébétée l’air de souffrir intensément. Elle explique un peu plus tard que c’est un des mots qu’elle ne peut pas lire et elle dit que ce mot « que » (qu’elle prononce « queue ») lui pose un problème parce qu’elle ressent comme une « escroquerie ».
Elle peut parfaitement dire qu’elle ne peut pas lire « Queue » mais elle prononce quand même le mot pour dire qu’elle ne peut pas le déchiffrer par ce qu’il n’y a rien. C’est un mot vide. Elle n’a pas d’image qui lui vient pour ce mot.
Elle se met en colère car elle dit qu’on veut lui faire lire un mot là où il n’y a rien…
Ça ne l’intéresse pas…!
Elle prononce les « il » et les « elle » de façon indistincte, de manière qu’on ne puisse pas déterminer le genre du sujet du texte. Elle dit queue c’est parce qu’elle est étrangère…
Pouvoir et sexuation
Concernant la sexuation, il faut accepter cette véritable injustice qui vient du fait que, savoir comment ça marche, ne nous donne pas la clé ni le pouvoir de franchir le pas d’une sexuation enregistrée -”oui”.
Ainsi ce savoir est un savoir qui n’est pas du côté du pouvoir.
Pas la peine d’apprendre par coeur le manuel du bien sexué.
Pas moyen d’évaluer qui que ce soit, sinon par son symptôme d’illettrisme qui est la preuve du non passage, du non franchissement de ce qu’ailleurs nous avons appelé « mort symbolique » et qu’ici nous nommons « sexuation_oui » (la psychanalyse parle de castration).
C’est la même chose, tout comme le machisme est une preuve de non « sexuation-oui ».
Même cette évaluation ne sera pas du côté du jugement mais du côté de ce que nous avons été jadis nous même, des « pas-encore« , d’où une grande tendresse pour ça que nous avons été et qui nous mettait dans une telle rage et une telle impuissance.
Mais au delà de la preuve du non passage, l’illettrisme est aussi le symptôme de l’abandon de tout espoir parce que se référant à ce qui est dit dans le social: « soit courageux et tout ira bien« .
C’est évidemment faux puisque (je dis que) les illettrés auxquels nous avons à faire sont tous très courageux, au contraire de ceux qui tentent de s’intégrer aux adeptes du « tout va bien » , du machisme ou du positivisme.
Ils sont très courageux et pourtant, ça ne « vaaaaa » pas.
Ça ne va pas parce qu’ils ont après tant d’efforts abandonné tout espoir. Tout espoir de pouvoir solutionner l’Autre sexe sur un mode binaire.
Ils ont raison bien évidemment sans le savoir!
L’Autre sexe (qui encore une fois, n’est bien sur ni féminin ni masculin) ne peut s’appréhender que du ternaire, d’autres diront trinitaire, peu importe !
Le seul intérêt de cette notion de sexuation est de pouvoir y articuler notre discours, en tant qu’enseignant.
Encore faut-il s’ être quelque peu frotté soi-même au problème pour qu’un discours purement assertif emporte la conviction chez les étudiants sans qu’aucune preuve ne leur soit donnée.
Ainsi transparaît à chaque secondes dans notre discours un schéma qui inscrit l’étudiant du côté de l’espoir qu’un jour, on ne peut pas dire quand, lui aussi rencontrera quelque chose ou quelqu’un qui fera sa vie n’être plus inscrite sous les auspices de la malencontre.
Cela fait tomber le non espoir et pointe le symptôme comme « étant là », non dénié et qui du fait, va s’atténuer peu à peu en attendant de disparaître tout à fait par l’inscription « sexuée-oui » pour laquelle l’illettré devra se débrouiller lui même, comme tout un chacun.
Cet espoir, le discours habituel et moralisant de l’Éducation Nationale et de l’éducation familiale le leur avait fait perdre ce qui est selon moi la raison très nette de leur violence ou plutôt de leur colère.
Ainsi, je le redis, lorsque le social parle de la violence des jeunes, j’entend qu’on veut parler de la colère des jeunes. La différence entre les deux tient au sentiment de juste qui accompagne la colère.