« Il me semble que pour pouvoir faire face à l’apprentissage du « calcul », il faille, déjà à cinq ou six ans, n’avoir pas refusé un certain abord sexuel du monde… »
De même que lors de mon intervention sur l’écriture et sur la lecture, j’emploierais le mot calcul sous sa forme de verbe pronominal conjugué à la troisième personne : « se calculer« .
C’est une formulation que l’on entend fréquemment de nos jours. « Cette nana là, j’la calcule bien »… »mon prof il est zarbi, j’le calcule pas… »…
La troisième personne de ce mode réfléchi du verbe me semble intéressante en ce qu’elle présente l’avantage de faire apparaître le point de vue sexuel d’où on se place pour parler.
On dit :
-
s’exprimer
-
s’extasier
-
s’exhiber
-
s’exposer…..etc…etc…
La troisième personne « il » est déjà un stade particulier de l’élaboration du discours puisque son usage chez l’enfant correspond à l’apparition pour lui de la perspective, c’est à dire de la dimension trois.
Dimension trois qui est déjà une première accroche au symbolique.
On n’est plus, à ce stade de l’élaboration du discours ou du langage, dans le pure binaire du « moi et toi » qui prête à de si fréquentes confusions, à commencer par des formulation aussi ambiguës que : « moi ma mère, elle fait bien la cuisine « , formulations où l’enfant marque ainsi la non- rupture de son lien imaginaire à l’autre non symbolisé.
Cependant, ce mode (ou plutôt cette mode, on voit bien que cela joue sur le genre : Il ou Elle?) de se calculer me semble être un mode resté au stade imaginaire, c’est à dire binaire de l’appréhension du monde (dans les deux sens de mot appréhension).
C’est aussi la marque d’une impossibilité d’appréhender l’autre sous une forme ne présentant pas un danger immédiat de disparition de soi-même.
A ce stade, c’est : »moi ou toi » et pas encore « moi ou lui »
Il me semble donc que pour pouvoir faire face à l’apprentissage du « calcul », il faille, déjà à cinq ou six ans, n’avoir pas refusé un certain abord sexuel du monde.
Je dis « sexuel » évidemment pas du côté de la chose gaillarde, mais du côté de ce que le fait sexué chez un humain se traduit par la possibilité de symboliser le monde dans lequel il baigne.
Ainsi, de même que pour la lecture l’enfant devra affronter la Lettre en plus de l’apprentissage des petites lettres de l’alphabet , pour ce qui est du calcul, il devra se faire sujet du Chiffre en plus de devoir apprendre à manier les premiers chiffres.
Il ne pourra y faire face aisément que comme sujet sexué, a défaut de quoi le calcul ou les maths seront pour lui du domaine de la torture ou de la folie en tant que domaine auquel il n’aura pas accès.
Que sont ces notions de Lettre et de Chiffre?
Nous connaissons tous les lettres de l’alphabet: a, b, c, d, e, f, …etc.., mais peu d’entre nous ont conscience de ce qu’est un « a » du côté de la Lettre.
Sa fonction de Lettre est de n’être ni un b, ni un c, ni aucune des autres lettres de l’alphabet.
Cette fonction de Lettre de chacune des lettres de l’alphabet est la même pour toutes les petites lettres que nous utilisons pour écrire.
Chacune a pour particularité de n’être aucune des autres lettres.
La fonction de Chiffre des nombres que nous utilisons est proche de la fonction de la Lettre ,mais différente en ce sens que « chiffre » vient de l’arabe « siffer » qui signifie zéro, c’est à dire le vide d’aucun chiffre (au sens français), le symbole de l’absence de chiffre.
Une présentification de l’absence.
A tel point qu’un monsieur célèbre il y a quelques années (qui sans doute n’était pas au fait de tout cela) et qui s’appelle Michel Siffre n’a pu trouver d’autre destinée que de, pendant toue sa vie, hanter les gouffres de toute la planète .
Mais le vrai sens symbolique du Chiffre, on le trouve dans ces institutions qui s’occupent d’espionnage. On disait dans le temps « Le deuxième bureau ».
Eh bien dans ces services d’espionnage il existe un service spécial qui s’appelle « Le Chiffre » et qui a pour but de chiffrer, c’est à dire de coder la Lettre des messages envoyés à l’étranger afin que personne ne puisse en prendre connaissance sans avoir le code.
C’est ce qui fait la différence entre les petites lettres (ou les nombres) et la Lettre (ou le Chiffre).
Dans le cas de l’espionnage, même si vous avez toutes les petites lettres du message envoyé, vous ne pourrez rien en faire sans le code du chiffrage.
Le chiffre est un être mathématique, ça peut être une lettre (x, y).
Le Chiffre n’est pas loin d’être une ombre du nombre.
Vous voyez, on retrouve à nouveau cette problématique des genres. On dit une ombre et un nombre.
En arabe et en hébreux, c’est plus facile de faire la différence car la Lettre (ou le Chiffre) se cache dans les petites lettres (ou nombres) de l’alphabet (ou entiers réels) et une même lettre aura un sens diffèrent selon la place qu’elle occupera dans le mot ou dans la phrase.
On retrouve une trace de ça chez nous dans le fait que ce que nous appelons les entiers réels, c’est à dire la liste des nombres auxquels nous avons accès par le calcul, est une liste bornée, limitée.
L’ensemble des entiers réels est un ensemble borné parce que la liste qu’on en peut faire comporte un trou.
Ce trou est occupé par la place du dernier des nombres entiers finis qui est une place vide, cifr (un siffer), zéro, le vide de nombre, car personne ne peut citer ce dernier nombre sans immédiatement se faire ridiculiser par quelqu’un qui y rajoutera ne serait-ce que seulement « +1 ».
On ne peut citer ce dernier chiffre de la liste, c’est une place vide, place vide qui est le lien, la contrepartie de la consistance des nombres de la liste;
Le Chiffre est toujours symbolique alors qu’un nombre peut être imaginaire comme le couple (x, y) représentant un point d’une courbe pour une valeur « x » et « y ».
En résumé, le chiffre peut être plusieurs choses :
Soit un symbole, c’est à dire un être mathématique (x, y, 1/2) – Symbole venant du grec « symbolon » qui était au départ un artifice pour ne pas payer deux fois le même ouvrier sur un chantier important. Le contremaître cassait un éclat de poterie en deux, en donnait une moitié à chacun des ouvriers qu’il embauchait et il ne payait que ceux qui présentaient en fin de chantier une moitié de morceau de poterie correspondant à un des morceaux en sa possession.
Soit 0, (« sifr », en arabe),-
Soit le résultat d’un chiffrage codé, dissimulé – A Athènes, pour envoyer des messages sans que l’ennemi ni le messager ne puisse en prendre note, on rasait le messager, on lui gravait le message sur la tête et quand ses cheveux avaient repoussé, on l’envoyait porter le message.
Pour en revenir au calcul et terminer, je dirais que dans la conjugaison des verbes quelque chose est chiffré qui n’apparaît que lorsque je conjugue à la troisième personne du verbe réfléchi où se cache le sexuel d’où je parle, écris, lis et calcule.
Cette troisième personne fait référence à la différence entre les nombres ordinaux et les nombres cardinaux.
Il y a un moment où apparaît une forme ternaire de calculer, lorsque je peux envisager une unité comme non unique.
Ainsi, peut-être que 1 + 1 = 2 , mais seulement à la condition que « 2« y soit aussi un « 1« .