Trois exigences pour la construction d’une langue :
– Des mots qui (d)écrivent des sons dans un lien arbitraire. Parce que le sens n’est pas lié à la forme, la possibilité de nommer est illimitée. La langue n’est donc pas « enseignable » , elle est crée par chacun, tissée dans les mailles de son rapport à l’Autre.
– Des mots séparés qui s’articulent en phrases. Ce découpage initial permettant une variété de compositions rend possible un déploiement de la pensée .
– Des règles de compositions. C’est dans le cadre des conventions valables pour tous que la singularité d’une histoire va se délivrer.
Il n’y a pas de langue « originelle », celle qui viendrait faire état du rapport premier entre l’objet, que nos sens perçoivent unifié dans une soudaineté proche de l’hallucination , et le mot qui le nomme. Mais toutes les langues se construisent de la même façon, elles en passent toutes par des associations aléatoires où l’objet de nos sens est démembré et dont les morceaux sont à jamais séparés et fixés par des noms qui ont une autre consistance sonore et visuelle. Lorsque l’objet se représente à nous dans une forme sans appellation, il apparaît étranger au langage et donc inhumain ; il devient la Chose , indéfinissable autrement que comme un signe dont le rapport à une signification devient univoque ou comme un symbole dont la liaison à une idée devient aliénante, angoissante.
Quelle est la principale fonction de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture ? Peut-on parler d’une « rupture » entre l’univers familial et l’univers scolaire ?
Cette rupture se fait dans le désarrimage du langage à sa première fonction de «connivence». Les premiers mots apparaissent dans le processus de « familiarisation » de l’Autre, un Autre apprivoisé, séduit, rassuré quand à l’attachement de l’enfant qui parle et le nomme «papa» ou «maman». Chacun s’y reconnaît et chacun pense savoir ce que veut l’autre.
La scolarité va jeter le langage sur les pas de l’Autre inquiétant, où il se détermine comme étranger , où l’échange langagier devient traduction. Sur ces chemins inconnus, le désir de l’autre devient mystérieux, le malentendu règne en maître. Mais sur ces chemins aussi , chaque sujet a la possibilité de se déterminer comme autre chose que ce que ses parents attendent de lui. C’est la constitution d’une altérité où le sujet reconnaît et est reconnu par l’Autre dans sa différence. L’Autre n’est plus mon égal mais il acquiert les même droits que moi. Partout où la justice s’appuie sur de l’égalité, au lieu de mettre en place de l’équité, il n’y a que dictature du consensus, c’est à dire dictat du sens unique au détriment de la fonction sémantique.
Si toutes les langues se construisent de la même manière , permettent donc d’accéder aux même richesses d’élaboration psychique, d’où part cette entreprise de différenciation « raciale » entre les hommes ? Car « ne pas penser pareil » reste le seul gage de pouvoir penser.