LITURATERRE :
Ce mot que je viens d’écrire intitule ce que je vais vous offrir aujourd’hui, parce qu’il faut bien, puisque vous êtes convoqués là, que je vous lance quelque chose. Il m’est évidemment inspiré par l’actualité : c’est le titre dont je me suis efforcé de répondre à une demande qui m’a été faite d’introduire un numéro qui va paraître sur « Littérature et psychanalyse ».
Ce mot « Lituraterre », que j’ai inventé, se légitime de l’Ernout et Meillet comme il y en a peut-être ici qui savent ce que c’est, c’est un dictionnaire étymologique du latin qui n’est pas trop bêtement fait. Cherchez à lino, litura, vous trouverez, et puis « liturarius » ; il est bien précisé que ça n’a rien à faire avec « litera », la lettre.
Que ça n’ait rien à faire, moi je m’en fous ! Je ne me soumets pas forcément à l’étymologie quand je me laisse aller à ce jeu de mots, dont on fait à l’occasion le mot d’esprit, le contrepet, en l’occasion évident, m’en revenant aux lèvres et le renversement à l’oreille.
Ce n’est pas pour rien que, quand vous apprenez une langue étrangère, vous mettez la première consonne de ce que vous avez entendu la seconde, et la seconde, la première.
Donc, ce dictionnaire, qu’on s’y reporte, m’apporte auspices d’être fondé du même départ que je prenais d’un premier mouvement, j’entends départ au sens de répartie, départ d’une équivoque dont Joyce, c’est James Joyce dont je parle, dont James Joyce glisse de a letter à a litter : d’une lettre traduite à une ordure.
Il y avait, vous vous en souvenez peut-être, mais très probablement vous n’en avez jamais rien su, il y avait une mécène qui lui voulait du bien et qui lui offrait une psychanalyse, et même que c’était de Jung qu’elle la lui offrait.
Au jeu que nous évoquons, il n’y eût rien gagné, puisqu’il allait tout droit avec ce a letter, a litter, tout droit au mieux de ce que l’on peut attendre de la psychanalyse à sa fin.
A faire litière de la lettre, est-ce Saint-Thomas encore, vous vous souvenez peut-être, vous n’avez jamais su, sicut palea, Saint-Thomas encore qui revient à Joyce, comme son œuvre en témoigne tout au long ?
Ou bien est-ce la psychanalyse qui atteste sa convergence avec ce que notre époque accuse d’un débridement du lien, du lien antique dont se contient la pollution dans la culture ?
J’avais brodé là-dessus comme par hasard, un peu avant le Mai de 68, pour ne pas faire défaut, ce jour-là, aux paumés de ces affluences que je me trouve maintenant déplacer quand je fais visite quelque part : c’était à Bordeaux. La civilisation, y rappelais-je en prémisses, c’est l’égout.
Il faut dire sans doute que c’était peu après que ma proposition d’octobre 67 avait été accueillie comme on le sait, il faut vous dire sans doute que, en jouant de ça, j’étais un peu las de la poubelle à laquelle j’ai rivé mon sort. Pourtant on sait que je ne suis pas le seul qui a pour partage l’avouère.
L’avouère pour vous le prononcer à l’ancienne, l’avoir dont Beckett fait balance aux joies de tous ces déchets de notre être. L’avouère sauve l’honneur de la littérature et, ce qui m’agrée assez, me relève du privilège que je pourrais croire tenir de ma place.
La question est de savoir si ce dont les manuels semblent faire étal de ce qui existe, je parle des manuels de littérature, soit ! que la littérature soit accommodation des restes. Est-ce affaire de connotation dans l’écrit de ce qui d’abord primitivement serait chant, mythe parlé, procession dramatique ?
Pour la psychanalyse, qu’elle soit appendue à l’Œdipe, à l’Œdipe du mythe, ne la qualifie en rien pour s’y retrouver dans le texte de Sophocle : ce n’est pas pareil. L’évocation par Freud d’un texte de Dostoïevski ne suffit pas pour dire que la critique du texte, jusqu’ici chasse gardée du discours universitaire, ait reçu de la psychanalyse plus d’air.
Si pourtant mon enseignement a place dans un changement de configuration, qui actuellement sous des couleurs d’actualité, actuellement s’affiche d’un slogan de promotion de l’écrit… mais ce changement, dont ce témoignage, par exemple que ce soit de nos jours qu’enfin Rabelais soit lu, montre qu’il repose peut-être sur un déplacement littéraire à quoi je m’accorde mieux.
Je suis comme auteur moins impliqué qu’on imagine. Mes Ecrits, un titre plus ironique qu’on ne croit, puisqu’il s’agit en somme soit de rapports qui sont fonction de congrès, soit, disons, j’aimerais bien qu’on les entende comme ça : des lettres ouvertes où je fais sans doute question chaque fois d’un vent de mon enseignement. Mais enfin ça en donne le ton…
Loin en tout cas de me commettre dans ce frotti-frotta littéraire dont se dénote le psychanalyste en mal d’invention, j’y dénonce la tentative immanquable à démontrer l’inégalité de sa pratique à motiver le moindre jugement littéraire.
Il est pourtant frappant que, ce recueil de mes Ecrits, je l’ai ouvert d’un article que j’isole en l’extrayant de sa chronologie, la chronologie fait règle, et que là il s’agisse d’un conte, lui-même, il faut le dire, bien particulier de ne pouvoir rentrer dans la liste ordonnée, vous savez qu’on l’a faite, des situations dramatiques. Enfin, laissons cela. Lui, le conte, il se fait de ce qu’il advient de la poste d’une missive, au su de qui se passent ses faire-suivre et de quels termes s’appuie que je puisse, moi, dire de cette lettre, dire à propos d’elle qu’une lettre toujours en vient à sa destination, et ceci après les détours qu’elle y a subis dans le conte, le compte, si je puis dire, soit rendu, sans aucun recours à son contenu, à la lettre. C’est ça qui rend remarquable l’effet qu’elle porte sur ceux qui tour à tour s’en font les détenteurs, tous ardents qu’ils puissent être du pouvoir qu’elle confère, pour y prétendre que cet effet d’illusion ne puisse s’articuler, ce que je fais moi, que d’un effet de féminisation.
C’est là, je m’excuse d’y revenir, bien distinguer, je parle de ce que je fais, la lettre du signifiant maître, en tant qu’ici elle l’emporte dans son enveloppe, puisqu’il s’agit d’une lettre au sens du mot épistole. Or je prétends que je ne fais pas là du mot lettre usage métaphorique, puisque justement le conte consiste en ce qu’y passe comme muscade le message dont c’est l’écrit, donc proprement la lettre qui fait seule péripétie.
Ma critique, si elle a lieu d’être tenue pour littéraire, n’aurait là donc porté, je m’y essaie, que sur ce que Poe a fait, d’être écrivain lui-même, pour former un tel message sur la lettre. Il est clair qu’à ne pas le dire tel quel tel que je le dis, moi, ce n’est pas insuffisamment, c’est d’autant plus rigoureusement qu’il l’avoue.
Néanmoins l’élision, l’élision de son message n’en saurait être élucidée au moyen de quelque trait que ce soit de sa psychobiographie, bouchée plutôt qu’elle en serait, cette élision ! une psychanalyste qui, on s’en souvient peut-être, a récuré les autres textes de Poe, ici déclare forfait de sa serpillière : elle n’y touche pas, la Marie !
Voilà pour le texte de Poe.
Mais, pour le mien, de texte, est-ce qu’il ne pourrait pas se résoudre par ma psychobiographie à moi ? Le vœu que je formerais, par exemple, c’est d’être lu un jour convenablement. Mais pour ça, pour que ça vaille, il faudrait d’abord qu’on développe, que celui qui s’y emploierait à cette interprétation développe ce que j’entends que la lettre porte pour arriver toujours, je le dis, à sa destination.
C’est là peut-être que je suis pour l’instant en cheville avec les dévots de l’écriture. Il est certain que, comme d’ordinaire, la psychanalyse ici reçoit de la littérature, elle pourrait d’abord en prendre cette graine qui serait du ressort du refoulement, une idée moins psychobiographique.
Pour moi, si je propose le texte de Poe, avec ce qu’il y a derrière, à la psychanalyse, c’est justement de ce qu’elle ne puisse l’aborder qu’à y montrer son échec. C’est par là que je l’éclaire, la psychanalyse. Et on le sait, on le sait que je sais, que j’invoque ainsi, c’est au dos de mon volume, j’invoque ainsi les lumières. Pourtant, je l’éclaire de démontrer où elle fait trou, la psychanalyse. Ça n’a rien d’illégitime, ça a déjà porté son fruit, on le sait depuis longtemps en optique et la plus récente physique, celle du photon, s’en arme.
C’est par cette méthode que la psychanalyse pourrait mieux justifier son intrusion dans la critique littéraire. Cela voudrait dire que la critique littéraire viendrait effectivement à se renouveler de ce que la psychanalyse soit là, pour que les textes se mesurent à elle, justement de ce que l’énigme reste de son côté, qu’elle soit coite.
Mais ceux, ceux des psychanalystes, dont ce n’est pas médire que d’avancer que plutôt qu’ils ne l’exercent, la psychanalyse, ils en sont exercés, entendent mal mes propos, à tout le moins d’être pris en corps.
J’oppose à leur adresse vérité et savoir.
C’est la première où aussitôt ils reconnaissent leur office, alors que, sur la sellette, c’est leur vérité que j’attends. J’insiste à corriger mon tir de dire : savoir en échec, voilà où la psychanalyse se montre aux yeux. Savoir en échec, comme on dit figure en abyme, ça ne veut pas dire échec du savoir. Aussitôt j’apprends qu’on s’en croit dispensé de faire preuve d’aucun savoir.
Serait-ce lettre morte que j’ai mis au titre d’un de ces morceaux, que j’ai dit Ecrits, de la lettre de l’instance comme raison de l’inconscient ?
N’est-ce pas désigner assez, dans la lettre, ce qui, à devoir insister, n’est pas là de plein droit si fort de raison que ça s’avance. Dire cette raison moyenne ou extrême, c’est bien montrer, je l’ai fait déjà à l’occasion, la bifidité où s’engage toujours toute mesure. Mais n’y a-t-il rien dans le réel, qui se passe de cette médiation ? Ce pourrait être la frontière.
La frontière à séparer deux territoires n’a qu’un défaut, mais il est de taille, elle symbolise qu’ils sont de même tabac, si je puis dire en tout cas pour quiconque la franchit. Je ne sais pas si vous vous y êtes arrêtés, mais c’est le principe dont, un jour, un nommé Von Uexküll a fabriqué le terme d’Umwelt. C’est fait sur le principe qu’il est le reflet de l’Innenwelt. C’est la promotion de la frontière à l’idéologie. C’est évidemment un départ fâcheux. Une biologie, car c’était une biologie qu’il voulait avec ça fonder, Uexküll, une biologie qui se donne déjà tout au départ, le fait de l’adaptation notamment qui fait le fond de ce couplage Umwelt et Innenwelt. Evidemment, la sélection, la sélection, ça ne vaut pas mieux comme type de l’idéologie. Ce n’est pas parce qu’elle se bénit elle-même d’être naturelle qu’elle l’est moins.
Je vais vous proposer quelque chose comme ça brutalement pour venir après a letter, a litter.
Moi je vais vous dire : la lettre n’est-elle pas le littéral à fonder dans le littoral ? Car ça c’est autre chose qu’une frontière, d’ailleurs vous avez pu remarquer que ça ne se confond jamais.
Le littoral, c’est ce qui pose un domaine tout entier comme faisant à un autre, si vous voulez, frontière, mais justement de ceci, de ce qu’ils n’ont absolument rien en commun, même pas une relation réciproque.
La lettre n’est-elle pas proprement littoral, le bord du trou dans le savoir que la psychanalyse désigne justement quand elle aborde la lettre, voilà-t-il pas ce qu’elle désigne ?
Le drôle, c’est de constater comment la psychanalyse s’oblige en quelque sorte de son mouvement même à méconnaître le sens de ce que pourtant la lettre dit à la lettre, c’est le cas de le dire, de sa bouche, quand toutes ses interprétations se résument à la jouissance. Entre la jouissance et le savoir la lettre ferait le littoral !
Tout ça n’empêche pas que ce j’ai dit de l’inconscient nous restant là ait quand même la précédence, sans quoi ce que j’avance n’aurait absolument aucun sens. Il reste à savoir comment l’inconscient que je dis être effet de langage de ce qu’il en suppose la structure comme nécessaire et suffisante, comment il commande cette fonction de la lettre.
Qu’elle soit instrument propre à l’inscription du discours, ne la rend pas du tout impropre à servir à ce que j’en fais, comme dans l’instance de la lettre, par exemple, dont je vous parlais tout à l’heure, où je l’emploie à montrer le jeu de ce que l’autre appelle, Jean Tardieu, le mot pris pour un autre, voire le mot pris par un autre, autrement dit la métaphore et la métonymie comme effets de la phrase. Ca symbolise donc aisément tous ses effets de signifiant, mais ça n’impose nullement qu’elle soit, elle, la lettre, dans ses effets-mêmes, pour lesquels elle me sert d’instrument, qu’elle soit primaire.
L’examen s’impose, moins de cette primarité qui n’est même pas à supposer, mais de ce qui du langage appelle le littoral au littéral.
Rien de ce que j’ai inscrit, à l’aide de lettres, des formations de l’inconscient pour les récupérer de ce dont Freud les formule, des énoncés, plus simplement des faits de langage, rien ne permet de confondre, comme il s’est fait, la lettre avec le signifiant.
Ce que j’ai inscrit à l’aide de lettres des formations de l’inconscient n’autorise pas à faire de la lettre un signifiant et à l’affecter, qui plus est, d’une primarité au regard du signifiant.
Un tel discours confusionnel n’a pu surgir que de celui, du discours qui m’importe.
Et justement qui m’importe dans un autre discours que j’épingle le temps venu du discours universitaire, soit, comme je l’ai souligné assez depuis un an et demi, je pense, soit du savoir mis en usage à partir du semblant.
Le moindre sentiment que l’expérience à quoi je pare ne peut se situer que d’un autre discours que de celui-là, j’eus dû le garder, le produit de ce discours, de ce que je ne désigne pas plus, sans l’avouer, de moi. On me l’a épargné, Dieu merci, n’empêche qu’à m’importer au sens que j’ai dit tout à l’heure, on m’importune !
Si j’avais trouvé recevables les modèles que Freud articule dans une Esquisse d’où décrire le frayage, le forage de routes imprécises, je n’en aurais pas pour autant pris la métaphore de l’écriture. Et justement c’est sur ce point précis que je ne la trouve pas recevable. L’écriture n’est pas l’impression, n’en déplaise à tout ce qui s’est fait comme bla-bla sur le fameux Wunderblock.
Que je tire parti de la lettre appelée 52ème, c’est d’y lire ce que Freud ne pouvait qu’énoncer sous le terme qu’il forge du W-Z : WahrnehmungsZeichen, et de repérer que c’est ce qu’il pouvait trouver de plus proche du signifiant à la date où Saussure ne l’avait pas encore remis au jour, ce fameux signifiant, qui ne date quand même pas de lui, puisqu’il date des Stoïciens.
Que Freud l’écrive là de deux lettres, comme moi d’ailleurs je ne l’écris que d’une, cela ne prouve en rien que la lettre soit primaire. Je vais donc essayer pour vous aujourd’hui d’indiquer le vif de ce qui me paraît produire la lettre comme conséquence, et du langage, précisément de ce que je dis que l’habite qui parle.
J’en emprunterai les traits à ce que d’une économie de langage permet de dessiner ce que promeut à mon idée que littérature peut être en train de virer à lituraterre.
N’allez pas vous étonner de m’y voir procéder d’une démonstration littéraire puisque c’est là marcher d’un même pas dont la question elle-même s’avance. On pourra y voir, y voir s’affirmer ce que peut être une telle démonstration que j’appelle littéraire. Je suis toujours un peu au bord, pourquoi pas, cette fois-ci… m’y lancer.
Je reviens d’un voyage que j’attendais de faire au Japon, de ce que d’un premier, d’un premier voyage, j’avais éprouvé de littoral. On peut m’entendre de ce que j’ai dit tout à l’heure de l’Umwelt que j’ai répudié justement de ça, de rendre le voyage impossible, ce qui si vous suivez mes formules, serait assurer son Réel.
Seulement voilà, c’est prématuré : c’est le départ que ça rend impossible, sauf à chanter : « partons ! partons ! » ça se fait d’ailleurs beaucoup !
Je ne noterai qu’un moment de ce voyage, celui qu’il se trouve que j’ai recueilli de quoi ? D’une route nouvelle qu’il s’est trouvé que j’ai prise simplement de ceci que la première fois que j’y suis allé, elle était simplement interdite.
Il faut que j’avoue que cela ne fut pas à l’aller, le long du cercle arctique que trace cette route pour l’avion, que je fis lecture de quoi ? De ce que je voyais de la plaine sibérienne.
Je suis en train de vous faire un essai de Sibérnéthique.
Cet essai n’aurait pas vu le jour si la méfiance des Soviétiques, ce n’était pas pour moi, c’était pour les avions, avait… m’avait laissé voir les industries, les installations militaires qui font le prix de la Sibérie.
Mais enfin de cette méfiance, c’est là une condition que nous appellerons accidentelle, pourquoi même pas occidentelle, si l’on y met de l’occire un peu. L’amoncellement du Sud Sibérien, c’est ça qui nous pend au nez. La seule condition décisive est ici la condition du littoral.
Justement pour moi, parce que je suis un petit peu dur de la feuille, elle n’a joué qu’au retour d’être littéralement ce que le Japon de sa lettre m’ait sans doute fait ce petit peu trop de chatouillements, qui est juste ce qu’il faut pour que je le ressente.
Je dis que je le ressens, parce que bien sûr pour le repérer, pour le prévoir, j’avais déjà fait ça ici quand je vous ai parlé un petit peu de la langue japonaise, de ce qui, cette langue, proprement l’affecte, c’est l’écriture, je vous ai déjà dit ça.
Il a fallu sans doute pour ça, pour ce petit peu trop, il a fallu que ce que l’on appelle l’art représente quelque chose. Cela tient dans le fait de ce que la peinture japonaise y démontre de son mariage à la lettre, et très précisément sous la forme de la calligraphie.
Cela me fascine ces choses qui pendent, kakemono, c’est comme ça que ça se jaspine, ces choses qui pendent au mur de tout musée là-bas portant inscrits des caractères, chinois de formation, que je sais un peu, très peu, mais qui, si peu que je les sache, me permettent de mesurer ce qu’il s’en élide dans la cursive où le singulier de la main écrase l’universel, soit proprement ce que je vous apprends ne valoir que du signifiant, je vous le rappelle un trait toujours vertical. C’est toujours vrai s’il n’y a pas de trait.
Donc, dans la cursive, le caractère, je ne l’y retrouve pas parce que je suis novice, mais c’est pas l’important. Car ce que j’appelle ce singulier peut appuyer une forme plus ferme. L’important, c’est ce qu’il y ajoute, c’est une dimension, ou encore comme je vous ai appris à jouer de ça, une demansion, là où demeure ce que je vous ai déjà introduit, je crois dans quelque avant ou avant-dernier séminaire, d’un mot que j’écris pour m’amuser du papludun.
C’est la dimension dont vous savez qu’elle me permet, on a beau dire comme ça… du petit jeu des mathématiques de Péano… etc. et de la façon dont il faut que Frege s’y prenne pour réduire la série des nombres « naturels », entre guillemets, à la logique, celle donc dont j’instaure le sujet dans ce que je vais appeler aujourd’hui encore puisque je fais de la littérature et que je suis geai, vous allez le reconnaître, je l’écris sous une autre forme que celle-ci le hun-en-peluce… ça sert beaucoup, hein, ça se met à la place de ce que j’appelle « l’Achose » avec un grand A et ça la bouche… du petit a. Ce n’est peut-être pas par hasard qu’il peut se réduire comme cela, comme je le désigne à une lettre. Au niveau de la calligraphie, c’est cette lettre qui fait l’enjeu d’un pari, d’un pari, mais lequel ? D’un pari qui se gagne avec de l’encre et du pinceau.
Voilà c’est comme ça qu’invinciblement m’apparut dans une circonstance qui est à y retenir, à savoir d’entre les nuages, m’apparut le ruissellement qui est seule trace à apparaître y opérer plus encore que d’en indiquer le relief, sous cette latitude, de ce que l’on appelle la plaine sibérienne, plaine vraiment désolée au sens propre d’aucune végétation, mais de reflets, reflets de ce ruissellement, lesquels poussent à l’ombre ce qui n’en miroite pas.
Qu’est-ce que c’est que ça le ruissellement ?
C’est un bouquet. Ca fait bouquet, c’est ce qu’ailleurs j’ai distingué du trait premier et de ce qui l’efface. Je l’ai dit, en son temps, mais on oublie toujours une partie de la chose, je l’ai dit à propos du trait unaire, c’est de l’effacement du trait que se désigne le sujet.
Ca se marque donc en deux temps, pour que s’y distingue ce qui est rature.
Litura… lituraterre, rature d’aucune trace qui soit d’avant, c’est ce qui fait terre du littoral.
Litura pure : c’est du littéral. La reproduire, cette rature, c’est reproduire cette moitié, cette moitié dont le sujet subsiste. Ceux qui sont là depuis un bout de temps, il doit y en avoir de moins en moins, doivent se souvenir de ce qu’un jour j’ai fait récit des aventures d’une moitié de poulet.
Produire la rature définitive, c’est cela l’exploit de la calligraphie. Vous pouvez toujours essayer de faire simplement, ce que je ne vais pas faire, parce que je la raterai, d’abord parce que je n’ai pas de pinceau, essayer de faire cette barre horizontale qui se trace de gauche à droite pour figurer d’un trait l’Un unaire comme caractère. Franchement, vous mettrez très longtemps à trouver de quelle rature ça s’attaque et à quel suspens ça s’arrête, de sorte que ce que vous ferez sera lamentable, c’est sans espoir pour un occidenté.
Il y faut un train différent qui ne s’attrape qu’à se détacher de quoi que ce soit qui vous raye.
Entre centre et absence, entre savoir et jouissance, il y a un littoral qui ne vire au littéral qu’à ce que ce virage vous puissiez le prendre, le même, à tout instant. C’est de cela seulement que vous pouvez vous tenir pour agent qui le soutienne.
Ce qui se révèle de ma vision du ruissellement, à ce qui domine la rature, c’est qu’à se produire d’entre les nuages, elle se conjugue à sa source, et c’est bien aux nuées qu’Aristophane me hèle, de trouver ce qu’il en est du signifiant, soit le semblant par excellence… si c’est de sa rupture qu’en pleut l’effet de ce qui s’en précipite, de ce qui y était matière à suspension.
Il faut vous dire que la peinture japonaise dont tout à l’heure je vous ai dit qu’elle s’entremêle si bien de calligraphie, qu’elle en regorge et que là, le nuage, il n’y manque pas.
C’est de là où j’étais à cette heure que j’ai vraiment bien compris quelle fonction avaient ces nuages, ces nuages d’or qui littéralement bouchent, cachent toute une partie des scènes, dans des lieux, des lieux qui sont des choses qui se déroulent dans un autre sens, celles-là, on les appelle makémonos, qui président à la répartition des petites scènes.
Pourquoi ? Comment se peut-il que ces gens, qui savent dessiner, éprouvent le besoin de les entremêler de ces amas de nuages, si ce n’est précisément que c’est ça qui y introduit la dimension du signifiant ?
La lettre, qui fait rature, s’y distingue d’être rupture donc du semblant qui dissout ce qui faisait forme, phénomène, météore, c’est ça, je l’ai déjà dit, que la science opère, au départ, de la façon la plus sensible sur des formes perceptibles.
Mais du même coup ça doit être aussi que ce soit d’en congédier ce qui de cette rupture ferait jouissance, c’est-à-dire d’en dissiper ce qu’elle soutient de cette hypothèse, pour m’exprimer ainsi de la jouissance, qui fait le monde en somme.
Car l’idée de monde, c’est ça : penser qu’il soit fait de pulsions telles qu’aussi bien s’en figure le vide.
Et bien, ce qui de jouissance s’évoque à ce que se rompe un semblant, voilà ce qui, dans le Réel, c’est là le point important, dans le Réel, se présente comme ravinement.
C’est là vous définir par quoi l’écriture peut être dite dans le Réel le ravinement du signifié, soit ce qui a plu du semblant en tant que c’est ça qui fait le signifié. L’écriture ne décalque pas le signifiant, elle n’y remonte qu’à prendre nom, mais exactement de la même façon que ça arrive à toute chose que vient à dénommer la batterie signifiante après qu’elle les a dénombrées.
Bien entendu, comme je ne suis pas sûr que tout mon discours s’entende, il va falloir quand même que je fasse épingle d’une opposition. L’écriture, la lettre, c’est dans le réel, et le signifiant, dans le symbolique. Comme ça, ça pourra faire pour vous ritournelle. Bon !
J’en reviens à un moment plus tard dans l’avion. On va avancer un peu, comme ça, je vous ai dit que c’était sur ce voyage de retour. Alors là, c’est ça qui est frappant, c’est de les voir apparaître, il y a d’autres traces qu’on voit se soutenir en isobares, elles, seulement elles s’aident de temps en temps d’un remblai.
Enfin en gros, isobares, ça les fait normales à celles dont une pente qu’on peut appeler suprême du relief se marque des courbes.
Là d’où j’étais, c’était très clair. J’avais déjà vu à Osaka comment les, les autoroutes paraissent descendre du ciel, il n’y a que de là qu’elles ont pu se poser comme ça les unes au-dessus des autres. Il y a une certaine architecture japonaise, la plus moderne, qui sait très bien retrouver l’ancienne.
L’architecture japonaise, ça consiste essentiellement en un battement d’une aile d’oiseau.
Ca m’a aidé à comprendre de voir tout de suite que le plus court chemin d’un point à un autre ne serait jamais montré à personne, s’il n’y avait pas le nuage.
Comment ça se fait une route, jamais personne ne suit la ligne droite, ni l’homme, ni l’amibe, ni la mouche, ni la branche, ni rien du tout.
Aux dernières nouvelles, on sait que le trait de lumière non plus ne la suit pas, tout à fait solidaire de la courbure universelle.
La droite là-dedans, ça inscrit tout de même quelque chose, ça inscrit la distance, et la distance, confer les lois de Newton, ça n’est absolument rien qu’un facteur effectif d’une dynamique que nous appellerons de cascade. C’est ce qui fait que tout ce qui choit suit une parabole.
Donc, il n’y a de droite que d’écriture, ni d’arpentage que du ciel.
Et ce sont l’un et l’autre en tant que tels, pour soutenir la droite, ce sont artefacts à n’habiter que le langage. Il ne faudrait quand même pas l’oublier, notre science n’est opérante que d’un ruissellement de petites lettres et de graphiques combinés.
« Sous le pont Mirabeau », certes comme sous celui d’une revue qui fut la mienne là où j’avais foutu comme enseigne un pont-oreille emprunté à Horus Appolo, Sous le pont Mirabeau… coule la Seine… primitive. C’est une scène telle, ne l’oubliez pas, à relire Freud, que peut y battre le V romain de l’heure cinq, c’est dans « l’Homme aux loups ». Mais qu’aussi bien, on n’en jouit pas. On n’en jouit qu’à ce qu’y pleuve l’interprétation.
Que le symptôme institue l’ordre dont s’avère notre politique, c’est là le pas qu’elle a franchi. Il implique d’autre part que tout se qui s’articule de cet ordre soit passible d’interprétation. C’est pourquoi on a bien raison de mettre la psychanalyse au chef de la politique. Et ceci pourrait n’être pas de tout repos pour ce qui est de la politique et pour tout ce qui s’y fait, si la psychanalyse s’avérait plus avertie.
Il suffirait donc peut-être que pour mettre notre espoir ailleurs, ce que font les littérateurs, si je peux les faire mes compagnons, il suffirait donc que de l’écriture nous tirions un autre parti que de tribune ou tribunal pour que s’y jouent d’autres paroles à nous en faire nous-mêmes, à nous en faire le tribut.
Je l’ai dit, et je ne l’oublie jamais, il n’y a pas de métalangage, toute logique est faussée de prendre départ du langage objet comme immanquablement elle le fait jusqu’à ce jour.
Il n’y a donc pas de métalangage, mais l’écrit qui se fabrique du langage pourrait peut-être être matériel de force à ce que s’y changent nos propos. Je ne vois pas d’autre espoir que ce qui actuellement s’aiguise.
Est-il possible en somme du littoral de constituer tel discours qui se caractérise, comme j’en pose la question cette année, de ne pas s’émettre du semblant ?
C’est évidemment la question qu’ils se proposent dans la littérature dite d’avant-garde, laquelle elle-même est un fait de littoral, et donc ne se soutient pas du semblant, mais pour autant ne prouve rien, sinon à montrer la cassure que seul un discours peut produire, j’ai dit produire, mettre en avant avec l’effet de production, c’est le schéma de mes quadripodes de l’année dernière.
Ce à quoi semble prétendre une littérature en son ambition, c’est ce que j’épingle de lituraterrir, c’est de s’ordonner d’un mouvement qu’elle appelle scientifique. Et c’est un fait que dans la science l’écriture a fait merveille, et cette merveille n’est pas près de se tarir.
Cependant la science physique se trouve ou va se trouver ramenée à la considération du symptôme, dans les faits, par la pollution, il y a des gens, des scientifiques qui y sont sensibles, par la pollution de ce que du terrestre on appelle, sans plus de critique, environnement. C’est l’idée de Uexküll, l’Umwelt, mais behaviourisée, c’est-à-dire complètement crétinisée.
Pour lituraterrir moi-même, je vais repartir de cet effet dans le ravinement, c’est une image certes, mais d’aucune métaphore. L’écriture est ce ravinement !
Ce que j’ai écrit là y est compris, et quand je parle de jouissance, j’invoque légitimement ce que j’accumule d’auditoire, et pas moins naturellement ce dont je me prive. Ça m’occupe, votre affluence. Le ravinement, je l’ai préparé.
Qu’il y ait inclus dans la langue japonaise, c’est là que je reprends, un effet d’écriture, l’important, c’est ce qu’il s’y offre comme ressource de faire exemple lituraterrir. L’important, c’est que l’effet de l’écriture reste attaché à l’écriture, que ce qui est porteur de l’effet d’écriture y soit une écriture spécialisée, en ceci qu’en japonais cette écriture spécialisée puisse se lire de deux prononciations différentes, en oniomi, je ne suis pas là en train de vous jeter de la poudre aux yeux […], oniomi, c’est comme ça que ça s’appelle, c’est sa prononciation en caractères, en caractères, ça se prononce comme tel distinctement, en kouniomi, de la façon dont ça se dit en japonais, ce que le caractère veut dire.
Vous allez naturellement vous foutre dedans, c’est-à-dire que, sous prétexte que le caractère est lettre, vous allez croire que je suis en train de dire que dans le japonais les épaves du signifiant courent sur le fleuve du signifié.
C’est la lettre, et non pas le signifiant, qui ici fait appui de signifiant, mais comme n’importe quoi d’autre, à suivre la loi de métaphore dont j’ai rappelé, ces derniers temps, qu’il fait l’essence du langage, c’est toujours d’ailleurs de là où il est le langage, du discours, qu’il prend quoi que ce soit au filet du signifiant, et donc l’écriture elle-même.
Seulement voilà, elle est promue de là à la fonction d’un référent aussi essentiel de toute chose, et c’est ça qui change le statut du sujet. C’est par là qu’il s’appuie sur un ciel constellé, et non seulement sur le trait unaire pour son identification fondamentale.
Et bien, justement il y en a trop. Trop d’appuis, c’est la même chose que de n’en pas avoir. C’est pour ça qu’il prend appui ailleurs, sur le « tu ». C’est qu’en japonais, on voit toutes les formes grammaticales pour le moindre énoncé, pour dire quelque chose, comme ça, n’importe quoi, il y a des manières plus ou moins polies de le dire selon la façon dont je l’implique, dans le « tu ». Je l’implique, si je suis japonais, si je ne suis pas japonais, je ne le fais pas, ça me fatiguerait.
Quand vous pourrez, c’est vraiment à la portée de tout le monde d’apprendre le japonais, quand vous aurez vu que la moindre chose fait sujet aux variations dans l’énoncé, qui sont des variations de politesse, vous aurez appris quelque chose.
Vous aurez appris qu’en japonais, la vérité renforce la structure de fiction que j’y dénote justement d’y ajouter les lois de la politesse.
Singulièrement ça semble porter le résultat de ce qu’il n’y ait rien à défendre du refoulé, puisque le refoulé lui-même trouve à se loger de cette référence à la lettre.
En d’autres termes, le sujet est divisé comme partout par le langage, mais un de ses registres peut se satisfaire de la référence à l’écriture, et l’autre de l’exercice de la parole.
C’est sans doute ce qui a donné à mon cher ami Roland Barthes ce sentiment enivré que de toutes ces bonnes manières, le sujet japonais ne fait en bloc rien. Du moins est-ce ce qu’il dit dans un livre que je vous recommande, car c’est une œuvre sensationnelle, « l’Empire des Signes », qu’il intitule ça !
Dans les titres, on fait des termes souvent un usage impropre. Enfin, on fait ça pour les éditeurs.
Ce qu’il veut dire évidemment, c’est l’empire des semblants. Il suffit de lire le texte pour s’en apercevoir. Et bien, le japonais… mythique, le petit japonais du commun, m’a-t-on dit, la trouve mauvaise. C’est du moins ce que j’ai entendu là-bas.
Et en effet, quelque excellent [que l’ait] écrit Roland Barthes, je lui opposerai ce que je dis aujourd’hui, à savoir que rien n’est plus distinct du vide creusé par l’écriture que le semblant, en ceci d’abord qu’il est le premier des godets prêt toujours à faire accueil à la jouissance ou tout au moins à l’invoquer de son artifice.
D’après nos habitudes, rien ne communique moins de soi qu’un tel sujet qui en fin de compte ne cache rien, qui n’a qu’à nous manipuler, et je vous assure qu’il ne s’en prive pas. C’était pour moi un délice, car en fin de compte j’adore ça…
Vous êtes un élément, entre autres, du cérémonial où le sujet se compose justement de pouvoir se décomposer. Le Bunraku, peut-être que vous avez vu ça, certains d’entre vous quand ils sont passés à Paris, le Bunraku, j’ai été le revoir là-bas, je l’avais déjà vu la première fois, eh bien… eh bien, le Bunraku, c’est là son ressort : il fait voir la structure toute ordinaire pour ceux à qui elle donne leurs mœurs elles-mêmes. Vous savez qu’on voit à côté de la marionnette exactement à découvert les gens qui y opèrent.
Aussi bien, comme au Bunraku, tout ce qui se dit dans une conversation japonaise pourrait-il aussi bien être lu par un récitant. C’est là ce qui a dû soulager Barthes. Le Japon est l’endroit où il est le plus naturel de se soutenir […] d’une interprète qui aurait aussi bien pu être un, d’une interprète, on est tout à fait à l’aise, on peut se doubler d’une interprète, ça ne nécessite en aucun cas d’interprétation.
Vous vous rendez compte, si j’étais soulagé… Le japonais, c’est la traduction perpétuelle des faits du langage. Ce que j’aime, et je vais finir là-dessus, c’est que la seule communication que j’y ai eue, hors les Européens, bien sûr, avec lesquels je sais m’entendre selon notre malentendu culturel, la seule que j’ai eue avec un Japonais, c’est aussi la seule, qui là-bas comme ailleurs puisse être une communication, pas un dialogue, c’est une communication scientifique.
J’ai été voir un éminent biologiste, que je ne nommerai pas, en raison des règles de la politesse japonaise et de ce que je vais dire, ça l’a poussé à me démontrer ses travaux naturellement là où ça se fait, au tableau noir !
Le fait que, faute d’informations, je n’y compris rien, n’empêche nullement ce qu’il a écrit, ses formules, d’être entièrement valables, comme les miennes, là où elles sont, valables pour les molécules dont mes descendants se feront sujets, sans que j’aie jamais eu à savoir comment je leur transmettais ce qui rendait vraisemblable que, moi, je me classe parmi les êtres vivants.
Une ascèse de l’écriture, ça n’ôte en rien des avantages que nous pouvons prendre de la critique littéraire, ne me semble, pour fermer la bouche sur quelque chose de cohérent en raison de ce que j’ai déjà avancé, ça me semble ne pouvoir passer qu’à rejoindre ce « c’est écrit » impossible dont s’instaurera peut-être un jour le rapport sexuel.
Jacques Lacan
Séminaire du 12 mai 1971