Qu’est-ce que le signifiant ?
Pour bien comprendre autorisons-nous à jouer sur les sonorités du mot signifiant qui vont interrompre de manière indécente sa signification courante. Le signi-fiant dit quelque part qu’on peut se fier (« fiant », en train de se fier) au cygne (signe). Le cygne est un oiseau qui meurt en chantant et qui chante en mourant. Quand sur l’île flottante de Délos naquirent les dieux de la poésie, les jumeaux Apollon et Artémis, des cygnes firent sept fois le tour de leur île. Comme dit Lacan : « le signifiant ne se maintient que dans un déplacement circulaire » (Écrits, p. 29). Quand Zeus voulut séduire Léda, il se transforma en cygne. Comme dit Lacan : « Le signifiant existe en dehors de toute signification » (Écrits, p. 498) ; « Les unités signifiantes, ce sont les phonèmes » (Écrits, p. 501).
Phonème vient du radical grec phoné « son de la voix », « cri des animaux ». C’est la plus petite unité du langage parlé, l’unité signifiante, qui, avec d’autres et selon leur position, vont constituer les mots et les distinguer. Il y a des phonèmes consonantiques et vocaliques. Le phonème peut-être oral, nasal, sourd, sonore. Le français comporte 36 phonèmes, 16 voyelles et 20 consonnes. Un phonème peut être composé d’une voyelle et d’une consonne (Cf. l’histoire de AT dans Les Formations de l’Inconscient).
Dans toutes les langues du monde il y a un lien conventionnel entre le signifiant, le son, et le signifié, le sens. Par exemple le son vache en français a le même sens que le son vaca en espagnol ou que le son cow en anglais etc. Dans toutes les langues des sons changent pour des signifiés identiques. Toutes les combinaisons de sons et de sens dans les langues sont nouées à leur référent. Par exemple, les sons vache, vaca, cow sont des signifiants différents qui ont le même signifié se rapportant à un troisième élément, le référent, c’est-à-dire ici le même animal cornu et qui donne du lait. Tel est en résumé le fonctionnement des langues. Mais le langage inconscient ne s’intéresse qu’aux phonèmes.
Les phonèmes, par définition sont dépourvus de significations. Par eux on déconnecte les lettres de la signification qui naît de leur assemblage pour trouver d’autres sens qui nous libèrent de l’asservissement à la langue. C’est le passage par la porte du rien. C’est l’activité interprétative propre à la psychanalyse qui dépasse le symbolisme traditionnel.
Saussure remarque que « la donnée acoustique existe déjà inconsciemment lorsqu’on aborde les unités phonologiques » (p. 62 de son Cours de linguistique). La continuité sonore, la parenté musicale des phonèmes constituent la structure du langage inconscient.
« Une structure, nous dit le philosophe Lalande, est un ensemble constitué de phénomènes solidaires tels que chacun dépend des autres et ne peut être ce qu’il est que dans et par sa relation avec eux ». Lacan dira que « le signifiant représente le sujet pour un autre signifiant ».
Le poète Mallarmé a lui aussi brisé le lien conventionnel qui associe le signifiant au signifié : « aboli bibelot d’inanité sonore » [1] dit-il, désigne parfaitement le signifiant qui justement ne signifie rien Le mot bibelot est une onomatopée à partir du son bib qui désignent de petits objets qui sont abolis, c’est-à-dire disparus dans un vide sonore. Le signifiant est « le seul objet dont le néant sonore ».
Un seul phonème peut avoir plusieurs sens, plusieurs signifiés. Ainsi en français, par exemple, le son cha, peut désigner aussi bien le félin domestique que le chas d’une aiguille, ou le sexe de la femme. Il y a dans tous les mots des phonèmes qui sont comme des myriades d’oiseaux en migration continue. Dans ce langage inconscient « les pensées les plus compliquées et les plus parfaites peuvent se dérouler sans exciter la conscience », nous dit Freud, en 1900, dans La Science des Rêves (p. 504).
« De longues périodes durant, on a considéré la pensée consciente en tant que la pensée au sens absolu. À partir de maintenant seulement la vérité se fait jour en nous que la majeure partie de notre activité intellectuelle se déroule inconsciente et insensible à nous-mêmes. » (Le Gai Savoir, Nietzsche, § 333, trad. Klossowski).